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  • Photo du rédacteurNathalie

Du verre de cantine à Moby Dick

Dans un récent post, j'évoquais le retour aux valeurs éthiques et écologiques de la nouvelle génération.

J'ai envie aujourd'hui de vous entraîner dans l'histoire du design, car certains et certaines ont, dans le passé, critiqué cette société de consommation qui rendait l'objet anonyme, sans histoire, voire néfaste pour la société et l'environnement.


La révolution industrielle est née au 19ème siècle en Angleterre. A l'ère des machines à vapeur, des mines de charbon, le paysage devient "paysage noir" et c'est la naissance du prolétariat et des prolétaires dont les conditions de vies sont critiquées par Engels.


"Par bourgeoisie, on entend la classe des capitalistes modernes, qui possèdent les moyens de la production sociale et emploient du travail salarié ; par prolétariat, la classe des travailleurs salariés modernes qui, ne possédant pas en propre leurs moyens de production, sont réduits à vendre leur force de travail pour vivre"

(Friedrich Engels, note au Manifeste communiste, 1888.

Dans Karl Marx, Philosophie, Gallimard, 1994, p. 594.)



Déjà à cette époque, les protagonistes anglais des Arts and Crafs alertaient sur les méfaits de cette industrialisation, et prônaient un retour à une fabrication plus respectueuse de l'environnement, ainsi qu'à un artisanat qui rendrait l'homme fier de son travail.

Ces théories se retrouvent entre autre dans les écrits de Ruskin et les productions artisanales de William Morris, tel ce magnifique textile d'ameublement.

Tissu d'ameublement, 1883 conçu par William Morris (1834-1896), méthode à l'indigo et coton imprimé fabriqué par Morris and Co. à Merton Abbey Works, proche de Wimbledon, Londres

Ces objets avaient néanmoins un coût, et n'étaient pas accessibles à tous malgré le souhait de Morris.

Peu à peu, les designers ont utilisé les machines afin de produire plus, à moindre coût.

Les designers modernes ont ainsi apporté, à travers les théories du Bauhaus, des objets sobres, adaptés à la production en série, et accessibles au plus grand nombre grâce à l'industrialisation.

Ce verre de cantine que nous connaissons tous en est un parfait exemple.

Verre, société Duralex (Loiret). Verre utilisé en collectivité car très résistant par sa fabrication (verre trempé), s'empile sans rester coincé grâce aux cercles en relief à la base, est bon marché grâce à sa fabrication en série. Pour l'anecdote le nom "duralex" provient de la citation latine "Dura lex, sed lex, qui signifie "la loi est dure, mais c'est la loi".


Il y a donc bien un intérêt à la grande série : les coûts de fabrication sont réduits et les produits ainsi manufacturés sont accessibilité au plus grand nombre.


Mais cette production questionne car l'utilisateur ne s'attache plus aux objets : il les utilise puis les jette, ce qui engendre la société de gaspillage et de pollution que nous connaissons aujourd'hui...

Est il possible de créer un attachement entre l'objet et l'utilisateur en utilisant les machines? Est il possible de créer de l'unique en série afin de donner davantage de valeur aux produits que l'on pourrait ainsi avoir envie de conserver et de transmettre?


C'est la démarche initiée par exemple par Gaetano Pesce, qui innove dans les années 70 avec le concept de "grande série différenciée", ou comment créer de l'unique dans l'industrie grâce à des coulures de matières aléatoire, des couleurs mixées etc.

Gaetano Pesce (1939 - ), Table Sansone / 1980

Résine de polyester polychrome moulée par coulée (Cassina)

En production jusqu'en 1988.

Crédit photo : P. Migeat - centre Pompidou, MNAM-CCI / dit. RMN-GP / Gaetano Pesce.


On retrouve ce concept de série différenciée aujourd'hui encore à travers ses chaises qui sont toutes uniques grâce au mélange aléatoire de la résine teintée dans les moules des dossiers et des assises.

Gaetano Pesce (1939 - ), Chaises Broadway, 1993

Assise et dossier en résine Epoxy multi-couleurs.

Structure en tige d'acier inoxydable montée sur pieds à ressort (Bernini)



Une designer dont j'aime beaucoup le travail, Hella Jongerius, souhaite quant à elle créer des produits qui méritent d’être aimés et appréciés toute une vie”.

En évoquant la production industrielle, elle précise :

"C’est difficile de développer une relation durable avec un objet industriel, de lui accorder une histoire propre. Ce sont les imperfections qui séduisent, les traces de l’usure."

J'adore l'idée de valoriser les imperfections, les traces d'usure, mémoires du temps sur les objets ou traces du travail artisanal.

Hella Jongerius, "coloured vases (série 3), 2010


Cette démarche est aussi en lien avec le questionnement actuel sur la durée de vie des objets et la nécessité de repenser notre rapport à la poubelle :

"Si vous proposez des objets qui parlent aux gens, qui ont du sens, il y a plus de chance qu'ils durent plus longtemps parce que leurs propriétaires auront envie de les garder."

C‘est ce qu’elle nomme “la durabilité psychologique” entre utilisateur et objet.

Au delà du simple usage des objets, "Les gens veulent avoir le sentiment qu’ils peuvent aimer et apprécier les objets qui les entourent.“

Hella Jongerius valorise donc l'imparfait, l'unique, pour créer des objets qui racontent une histoire et qui créent un vrai lien avec l'utilisateur, au delà de leur fonctionnalité.


Aujourd'hui, l'artisanat signe son grand retour, et les particuliers ne demandent qu'à mettre la main à la pâte : boom des cours de poterie (les mains dans l'argile), du jardinage (les mains dans la terre), de la boulangerie (les mains dans la pâte à pain) pour créer de l'unique, de la valeur issue de leur main, qui redonne du sens à cette société qui en manque.

De plus, c'est un temps pour soi que Melville décrit magnifiquement dans Moby Dick lorsqu'il décrit le moment de plénitude vécu par un chasseur de baleine lorsqu'il pétrit la pâte :

"Comment mieux dire cette souplesse de la plénitude, cette souplesse qui remplit la main, qui se réfléchit sans fin de la matière à la main et de la main à la matière (...). Comme les doigts s'allongent dans cette douceur de la pâte parfaite, comme ils se font doigts, conscience de doigts infinis et libres (...). Je baignais mes mains et mon coeur dans cette indescriptible matière (...). Je me sentais divinement libéré de toute aigreur, de toute impatience et de toute espèce de malice (...). La matière douce adoucit nos colères. La furie n'ayant nul objet dans le travail de cette splendide mollesse, le sujet devient un sujet de douceur".

Cité par Bachelard dans La terre et les rêveries de la volonté, celui ci conclut :

"la pâte nous a serré la main"...


Belle métaphore de cet instant de plénitude ressenti à travailler la matière, à créer de ses propres mains, aux antipodes des achats compulsifs de produits anonymes !


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